A propos de la demande de dérogation concernant le puçage électronique des brebis et des chèvres

Mercredi 29 décembre 2010 // Ils ont dit et fait

L’identification électronique des brebis et des chèvres est obligatoire en France depuis Juillet 2010. Cette nouvelle obligation qui frappe le monde de l’élevage a poussé quelques personnes à se questionner au sujet de sa pertinence, de sa raison d’être et bien sûr de la manière d’y échapper.

Des éleveurs du Cantal ont jugé utile de demander une dérogation qui leur permette de continuer à identifier leurs animaux avec des boucles non pucées. Comme d’autres, nous avons été sollicités pour appuyer cette demande. Malgré notre ferme opposition au puçage, nous ne nous reconnaissons pas dans cette initiative et nous souhaitons nous en expliquer.

Si dans la situation actuelle une dérogation peut apparaître comme un moindre mal, elle implique pourtant de lourdes conséquences à l’avenir. Elle suppose en effet l’établissement de critères permettant d’identifier les troupeaux qui en seront bénéficiaires. Dans le souci, sans doute, de rester maîtres de leurs activités, les initiateurs de la campagne pro-dérogation définissent eux-mêmes les conditions permettant d’être dispensés de l’obligation de puçage : pratique de méthodes traditionnelles d’élevage, bonne autonomie du renouvellement du cheptel, faible taux de réforme du cheptel, faible mouvement d’animaux. Or, la vérification de ces critères vient entériner l’ensemble des obligations déjà imposées aux éleveurs (registres d’élevage, déclaration des naissances, des ventes et morts d’animaux sous sept jours à l’administration, prophylaxie obligatoire, enregistrement des soins vétérinaires, localisation des terres sur photos aériennes, etc…). Elle implique en outre la création par l’administration d’une nouvelle définition, celle des méthodes traditionnelles d’élevage, qui ne tardera pas à s’accompagner de nouvelles règles et contraintes. Il s’agit donc à notre sens d’un pas de plus vers la dépossession de nos savoir-faire, remplacés le plus souvent par les schémas raisonnés par une bureaucratie qui, grâce à ses experts, définit les « bonnes pratiques ».

Si aujourd’hui nous nous opposons au puçage, c’est que ce dernier nous fait sentir encore une fois le poids d’une administration qui se veut toujours plus englobante et totale. Une part grandissante de notre travail est consacré à remplir des formulaires qui justifient de notre respect des règles. Nous recevons sans cesse des injonctions qui nous commandent de faire telle chose à tel moment pour telle raison, sous peine de perdre nos primes, nos allocations, nos droits, et jamais ne nous est laissée la liberté d’évaluer une situation par nous-mêmes, nous sommes ainsi considérés comme suspects.

L’identification est un bon exemple de comment l’administration prend notre place en organisant une partie de notre travail, celle du choix des méthodes, des moyens à utiliser. Jadis l’identification des animaux n’était rien d’autre que le moyen choisi par l’éleveur de reconnaître ses bêtes. On s’en servait pour la sélection ou, plus banalement, pour distinguer les troupeaux. Cela était une ruse du métier et elle n’avait de signification que pour l’éleveur lui-même, au sein de son activité. Le choix des méthodes de reconnaissance de son troupeau restait donc particulier à chacun, et il ne regardait que le berger et son troupeau. Mais quand cette connaissance devient « l’identification » au sens de l’administration, elle se transforme en formulaire à porter devant un tiers pour justifier de ses actes. Ce qui était un geste propre à un métier devient un numéro, puis un code barre, puis une puce, qui vont être assimilés à d’autres numéros pour créer des statistiques, gérer et labelliser de la marchandise, et en retour pour définir des nouvelles règles de conduites, des nouvelles normes, des nouvelles attitudes qui servent à gouverner des millions de brebis et leurs bergers.

Comme il est dit dans la demande de dérogation « nous ne voulons pas devenir des sous-traitants de l’industrie et des nanotechnologies ». Nous ajoutons pour notre part : nous ne voulons pas nous résigner à devenir les simples exécutants de l’administration. Nous ne voulons pas nous résigner à devenir des points sur un tableau. Or, n’y a-t-il pas un peu de cette résignation dans la dérogation ?

Il sera facile pour certains de critiquer notre position en arguant du fait que nous n’avons rien de concret à proposer, cela est un jeu très à la mode. Cependant, nous nous méfions de solutions qui prétendent contourner les problèmes et qui finalement les aggravent. Ce que nous recherchons par ce communiqué, c’est la possibilité d’ouvrir une vraie discussion politique au terme de laquelle on pourra peut-être envisager des stratégies communes avec celles et ceux qui le souhaitent. La demande de dérogation fait l’économie de cette discussion, qui nous paraît incontournable sous la pluie de réglementations qui semble ne pas cesser.

Le groupe Faut pas pucer, le 20/12/2010

Correspondance : Faut pas pucer, Le Batz, 81140 Saint Michel De Vax

fautpaspucer@laposte.net